ÉCRIRE UN BON POÈME
(UN MONOMYTHE EN DOUZE ÉTAPES)
1-4
la première fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
nous étions dans le train
d’Edward Hopper le temps
défilait au ralenti
la seconde fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
les vallons n’étaient plus
au bord des rails
les nuages étaient partis
le bois flottait paisiblement
le verre était dépoli
la troisième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
nous nous tenions en équilibre
sur une chaise au milieu de la
chambre d’Emily Dickinson suppliant
qu’une mouche ne
nous fasse pas vaciller
la quatrième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
c’était comme si nous
ne savions toujours pas
voir une faille dans un cerveau
une forme dans le papier peint
montrait dix fois plus
telle une faible lumière
au bout du souterrain
5-8
La cinquième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
tout était parfait à
tel point que nous
en fûmes effrayés les sources
des torrents les orages le chant du
bouvreuil on se serait
cru dans une mosquée
la sixième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
on dut combattre des
ennemis on perdit des alliés
il fallait avoir l’estomac
bien accroché
la septième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
les animaux avaient pris
une place démesurée dans
nos vies il y avait
dans le regard triste
du chien d’Habacuc quelque
chose de vrai en partie
la huitième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
nous fîmes face au problème de la mort
qui n’en est pas un
au bout du compte
9-12
La neuvième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
l’objet de notre quête était enfin là
sous nos yeux
car la prière n’est puissante que si
et seulement si
vous avez la foi
la dixième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
ce fut pour revenir sur nos pas
afin de comprendre ce que nous avions
voulu dire à travers le poème qui
n’est finalement qu’un moyen
comme un autre de résister à
la nature flexible de la réalité
la onzième fois
qu’on tenta d’écrire un bon poème
les autres s’étaient volatilisés
ils n’existaient plus
mais on pouvait quand même
sentir leur présence
au fond de soi
la douzième fois
fût enfin la bonne
nous ne l’avions pas fait exprès
personne ne s’était rendu compte de rien
Jean-Marc FLAHAUT, Je n’aime pas les ateliers d’écriture,
Editons LA PASSE DU VENT Poésie, Octobre 2020, p. 47-52